Préface éditoriale à TYR vol. 2

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Il y a maintenant plus d’un an que le premier volume de TYR a paru. Il semble donc approprié d’utiliser l’espace ici fourni pour mieux clarifier nos objectifs, et pour répondre brièvement à diverses critiques et confusions qui ont surgi depuis le début de ce projet.

Les deux Traditions

Nous nous sommes décrits comme des « traditionalistes radicaux », une désignation définie s’une manière un peu imprécise sur la quatrième page de couverture de ce journal, et dans la préface de notre premier volume. Le terme vient de l’auteur et philosophe anglais John Michell, et nous avions le sentiment qu’il représentait assez bien notre orientation fondamentale. Mais, comme on aurait pu s’y attendre, de nombreux lecteurs ont confondu ce « traditionalisme » assez ouvert avec l’école traditionaliste de René Guénon, représentée plus récemment par des auteurs comme Frithjof Schuon et Huston Smith.

Guénon et ses adeptes affirment la réalité d’une « Tradition » primordiale et transcendante (souvent – mais pas toujours – écrite avec un « T » majuscule). Cette Tradition pourrait être comprise comme une série de principes abstraits mais absolus, incarnés à des degrés divers dans les traditions spirituelles singularisées de peuples spécifiques. Evidemment, nous avons de nombreux points communs avec les Traditionalistes, et nous sympathisons beaucoup avec la critique Traditionaliste de la modernité (voir, par exemple, le livre étrangement prescient de René Guénon, La crise du monde moderne). Cependant, nous ne croyons pas nécessairement en la Tradition comme absolu métaphysique. Un Traditionaliste d’une importance particulière pour nous est Julius Evola, dont l’œuvre apparaît dans ces pages. Mais là aussi, nous ne sommes pas des « évoliens » au sens strict. L’accent exclusif mis par Evola sur une spiritualité solaire et primordiale (par opposition à la tendance à la dissolution et à l’absence de forme qu’il perçoit dans le « monde des Mères ») est quelque chose que nous ne partageons pas. Dans notre monde, il y a de la place pour le féminin, le chtonien – et pour beaucoup d’autres choses.

Nous sommes donc effectivement des traditionalistes, mais pas forcément des Traditionalistes.

L’accusation de fascisme

Beaucoup de gens accuseront TYR d’avoir des « tendances fascistes ». Pour certains, « fasciste » est simplement un adjectif péjoratif, appliqué indistinctement à quiconque croit encore aux valeurs élevées, à la primauté du spirituel, ou qui ose contester les suppositions modernes concernant les bénéfices du « progrès », de la technologie, et d’un nivellement agressif et égalitaire qui diminuerait toutes les cultures et traditions humaines distinctes. A ces critiques, nous pouvons offrir peu de consolations. Des inquiétudes plus justifiées naîtront sans doute du fait que nous avons examiné en détail de nombreux groupes et individus impliqués dans la sous-culture völkisch en Allemagne, que certains historiens ont associée à la montée du totalitarisme. En vérité, cependant, la plupart des gens impliqués dans le mouvement völkisch du début du XXe siècle (si une chose aussi informe peut vraiment être appelée un « mouvement ») avaient bien plus en commun avec les préraphaélites, ou avec la tendance particulière de socialisme ethniste [folkish] de William Morris, qu’avec l’appareil étatique massif de Hitler.

Les principes traditionalistes qui furent adoptés par les nazis devinrent bestiaux du fait de leur transformation en une idéologie. On peut souvent observer le même phénomène dans le monde musulman aujourd’hui. A de nombreux égards, le nazisme pourrait être vu comme un mouvement essentiellement moderne, en dépit de ses appels occasionnels au passé héroïque de Siegfried et du Chant des Niebelungen. En voyant le spectacle impressionnant de milliers de miliciens vêtus de noir défilant en rangs serrés, on pense surtout à l’embrigadement de la société industrielle moderne. L’insistance globale des nazis sur le matérialisme biologique, et l’idée que la perfectibilité humaine pourrait être réalisée par l’eugénisme, se reflètent dans l’obsession moderne (bien que purgée de l’intérêt pour la « pureté raciale ») pour le clonage, la manipulation génétique et les anxiolytiques. Il semble hautement improbable que l’une de ces panacées artificielles et effrayantes puissent vraiment guérir la maladie de l’âme de notre époque.

Elles ne feront qu’aggraver les choses.

Asatru et Odinisme

Le regain d’intérêt contemporain pour la reconstruction de la religion germanique a commencé aux Etats-Unis il y a plus de trois décennies avec le travail d’auteurs comme Stephen McNallen et Else Christensen, et continue à se développer à travers les efforts du Dr. Stephen Flowers (Edred Thorsson) et d’autres, aussi que par la lutte en cours de groupes comme l’Asatru Alliance,  l’Asatru Folk Assembly, l’Odinic Rite, et le Ring of Troth. Ces organisations se chicanent souvent sur la meilleure façon de désigner leur orientation spirituelle. Certains se décrivent comme odinistes ou fidèles d’Asatru [Asatruars], alors que d’autres préfèrent s’appeler simplement « païens nordiques » [heathens]. Nous utilisons ces termes d’une manière plus ou moins interchangeable dans ce journal, ce qui agacera sans doute les partisans de l’une ou l’autre de ces voies légèrement divergentes mais finalement très similaires.

Une limitation de l’Odinisme et de l’Asatru est l’intérêt exclusif porté aux dieux, déesses et pratiques cultuelles (ou du peu que nous connaissons vraiment de ces pratiques) des Scandinaves médiévaux. A de nombreux égards, c’est simplement une question de goût. La plupart des religions européennes préchrétiennes peuvent être retracées jusqu’à une source indo-européenne commune (bien que beaucoup plus ancienne). Ainsi, les pratiquants de ces religions adoraient des dieux similaires, conceptualisaient la relation entre l’homme et le divin d’une manière similaire, et avaient des institutions sociales et politiques étroitement apparentées. Malheureusement, peu d’archives écrites subsistent, et peu de culture matérielle païenne survécut à l’avance des armées de la Chrétienté. Du fait de l’isolement relatif de la Scandinavie, et particulièrement d’avant-postes éloignés comme l’Islande, nous connaissons bien plus de choses sur la religion européenne préchrétienne telle qu’elle était pratiquée dans le Nord que sur les religions préchrétiennes de la plupart des autres parties de l’Europe. Mais en fin de compte, nous nous intéressons à toutes les religions et cultures préchrétiennes européennes (et indo-européennes), pas seulement à celles des Germains ou des Scandinaves médiévaux. Nous nous intéressons aussi à la manière dont ces cultures interagissaient et s’enrichissaient lorsqu’elles entraient en contact avec des cultures non-indo-européennes.

Un débat particulièrement épineux dans la sous-culture païenne nordique concerne l’orientation « ethniste » [folkish] de nombreux pratiquants. Que nous nous considérions comme des « Asatruars » ou non à tous autres égards, nous sommes certainement « ethnistes ». Cela parce qu’en tant que traditionalistes, nous nous opposons à l’idée moderne selon laquelle chaque être humain serait un individu isolé. Une véritable identité humaine ne peut se développer qu’à l’intérieur des paramètres de certaines limitations historiques, culturelles et spirituelles, qui ne peuvent pas être transgressées arbitrairement – du moins pas sans risque important. On est d’abord membre d’un « peuple », et seulement ensuite un « individu ». Par conséquent, nous avons le sentiment qu’il est plus sain, et plus approprié, de s’identifier aux traditions culturelles et religieuses de son propre peuple, quel que puisse être ce peuple.

Bien que nous partageons beaucoup d’idées et d’opinions avec les membres des « communautés » asatruars et odinistes, TYR n’a jamais été destiné à être une publication « asatruar » ou « odiniste ». Nous ne prétendons pas être des porte-parole ou des représentants d’Asatru, de l’Odinisme ou de toute autre religion reconstruite spécifique.

Ce que TYR est, et ce que TYR pourra devenir, dépend uniquement de nos inclinations personnelles et de nos impératifs intérieurs.

Conclusion

Pour quiconque partage notre perspective plutôt inhabituelle, il est facile de conclure que la société moderne est irrécupérable. Les solutions politiques semblent naïves et inapplicables. Si l’on enlève une couche de pourriture, on découvre une autre couche plus profonde – et ainsi de suite, jusqu’à la racine. Il serait idiot de penser que simplement en publiant un journal on pourrait stopper d’une manière ou d’une autre un processus de désintégration qui a atteint ses étapes avancées longtemps avant que nous soyons nés. Nous ne nourrissons aucune illusion de ce genre concernant TYR. Quiconque souhaite trouver le germe d’un nouveau « mouvement » ou d’une nouvelle « croisade » dans ces pages ferait mieux de chercher ailleurs. La même chose est vraie pour ceux qui tenteraient de coopter nos efforts, ou de les attacher à une charrette branlante quelconque.

Nous espérons que TYR pourra servir de pierre de touche à d’autres comme nous, qui recherchent ardemment un « retour aux origines » et aux traditions, mais dans leurs propres vies. Nous avons tenté de compiler de la documentation non seulement  parce qu’elle a un intérêt historique, mais aussi pour orienter l’émergence de divers phénomènes culturels qui reflètent, à un degré ou à un autre, certains principes traditionalistes. En aucune manière le lecteur ne devra s’attendre à une cohérence absolue entre tous les groupes et individus représentés dans ces pages. Nous n’adhérons à aucune « ligne du parti » stricte – seulement à certains principes généraux – et nous n’attendons pas plus de nos contributeurs et associés. Enfin, nous avons tenté de maintenir un haut niveau éditorial et esthétique dans tout ce journal, car nous avons le sentiment que les idées exprimées ici méritent la meilleure présentation possible. En cela du moins, nous espérons avoir réussi.

– Les Rédacteurs, automne 2003.

TYR : Myth – Culture – Tradition, vol. 2, ed. Joshua Buckley and Michael Moynihan (Atlanta : Ultra, 2004)