La franc-maçonnerie conservatrice idéale de Lessing

3,397 words

Gotthold_Ephraim_Lessing_Kunstsammlung_Uni_Leipzig [1]English original here [2]

Note de l’auteur :

Le texte suivant est la base d’un discours prononcé à New York le 5 Avril 2015 et à nouveau au Forum de Londres le 11 Avril 2015. Comme l’enregistrement le montrera, au Forum de Londres, je me suis rapidement écarté du texte et je l’ai condensé spectaculairement pour avoir plus de temps pour les Q&A [Questions & Answers]. Je posterai l’enregistrement complet quand je le recevrai et que j’aurai une chance de le préparer.

Gotthold Ephraim Lessing (1729–1781) était un philosophe, dramaturge, et essayiste allemand. Il était aussi un franc-maçon. Le 14 octobre 1771 il fut initié dans la franc-maçonnerie, dans la Loge des Trois Roses d’Or à Hambourg. Lessing plaçait apparemment de grands espoirs dans la franc-maçonnerie, mais il devint rapidement désillusionné. En 1776–77, Lessing écrivit Ernst and Falk: Dialogues for Freemasons, qui fut dédicacé au Duc  Ferdinand de Brunswick, l’un des plus illustres francs-maçons de l’Allemagne.

Dans les dialogues, je crois que le personnage de Falk exprime la propre version idéale de la franc-maçonnerie par Lessing, alors que les expériences de Ernst représentent la déception de Lessing vis-à-vis de la chose réelle, c’est-à-dire son snobisme et son occultisme. Falk parvient néanmoins à défendre la franc-maçonnerie contre les objections de Ernst. Mais ce qui émerge à cette occasion est une forme inhabituelle de franc-maçonnerie qui est anti-égalitaire, politiquement conservatrice – spécifiquement conservatrice des identités historiques et des différences nationales – et basée sur les principes éternels de la loi naturelle, qui peut être connue par la raison, par opposition à une tradition mystique transmise par initiation. Bref, ce n’est pas la franc-maçonnerie de votre père.

La plupart des gens de droite aujourd’hui regardent la franc-maçonnerie comme une institution subversive, opposée au christianisme, à la monarchie et au nationalisme, et promouvant la laïcité, le républicanisme, et le mondialisme. Je suis cependant de plus en plus fatigué de l’anti-modernisme réactionnaire primaire. Si je vivais au XVIIIe siècle, j’aurais été un radical de gauche. Je pense que la séparation de l’Eglise et de l’Etat, la liberté religieuse et la laïcité politique sont toutes de bonnes choses. Je pense aussi que la monarchie absolue est une mauvaise idée. La monarchie est excellente, cependant, tant qu’elle est constitutionnelle, c’est-à-dire limitée par des lois et intégrée dans un régime mixte [3] qui la contrebalance par un pouvoir populaire et aristocratique. J’applaudis les contributions de la franc-maçonnerie à ces changements, que je considère comme des améliorations authentiques. Un progrès, si vous voulez.

J’applaudis aussi les contributions de la franc-maçonnerie à la quête d’institutions transnationales qui peuvent servir de médiatrices dans des conflits entre des Etats différents, et éviter ou abréger le fléau de la guerre. Cependant, en tant que nationaliste, je suis opposé à la mondialisation [4], signifiant un gouvernement mondial unique et/ou un système économique unique, à cause de ses conséquences destructrices : la suppression des frontières, l’homogénéisation des cultures, et le mélange des races.

Je fus donc enchanté de découvrir que le Ernst and Falk de Lessing expose une conception de la franc-maçonnerie qui rejette explicitement le gouvernement mondial et souhaite conserver les différences entre nations et Etats différents, tout en demeurant pleinement conscient que nous avons besoin d’institutions pour empêcher que ces différences ne se transforment en haine et en effusion de sang.

C’est une conception de la franc-maçonnerie qui aide à réconcilier les tendances rivales à l’intérieur de la Nouvelle Droite contemporaine, qui est divisée entre défenseurs du  nationalisme « étroit » [5], qui envisage une Europe des cent drapeaux, et les défenseurs du nationalisme « grandiose » [6], qui rêvent d’une Europe politiquement unifiée, de l’Islande à Vladivostok.

Ernst and Falk consiste en cinq dialogues. Le principal argument se trouve dans le second dialogue. Lessing dit que même si la meilleure constitution possible pouvait être inventée, cela n’impliquerait pas un gouvernement mondial unique. Un tel gouvernement serait impossible à administrer. Donc le pouvoir devrait s’en remettre à des unités plus petites. Jusqu’ici, très bien : c’est du réalisme politique conservateur classique, pas de l’utopisme du One World.

Lessing continue en disant que les unités souveraines politiques les plus naturelles sont les groupes ethniques : Anglais, Français, Suédois, Russes, Espagnols, etc. Lessing reconnaît aussi que les différences entre nations – dont il pense qu’elles peuvent être en partie expliquées par le climat – signifieraient finalement des différences dans les constitutions.

Les ethno-nationalistes peuvent applaudir cette idée aussi. Nous savons que la société la plus harmonieuse et fonctionnant le mieux est racialement, culturellement, religieusement et linguistiquement homogène. Nous pensons aussi que la meilleure constitution n’est pas un bleu de travail totalitaire à taille unique, mais plutôt un vêtement particulier taillé pour convenir au génie distinct d’un peuple.

Mais Lessing est également réaliste avec les problèmes de l’ethno-nationalisme. L’ethnicité peut unifier un Etat, mais elle le fait au prix de la division des Etats entre eux, posant les fondements de la méfiance et de la discorde. Nous qui pensons que les Allemands et les Italiens et les Anglais ont trop en commun pour risquer une effusion de sang entre eux, nous déplorons les querelles entre Européens et pensons que nous avons besoin d’une sorte d’ordre supra-politique ou trans-politique pour arbitrer les disputes entre nous et coordonner nos relations avec les autres blocs raciaux et civilisationnels : Islam, Inde, Afrique, Chine, etc.

Lessing, de plus, reconnaît que l’humanité a de nombreuses religions différentes, qui ne vont pas disparaître de sitôt. La religion peut unifier un peuple, mais à nouveau au prix d’une division vis-à-vis des autres communautés religieuses, posant le fondement du conflit.

Finalement, Lessing reconnaît qu’à l’intérieur de chaque communauté politique, les individus sont divisés entre eux par des différences de pouvoir et d’argent. Lessing nie carrément l’égalité humaine. Certains hommes gouverneront, et d’autres seront gouvernés. Même si tous les biens étaient équitablement distribués, les hommes inégaux géreront leurs biens d’une manière différente, et quelques générations plus tard il y aurait des extrêmes de richesse et de pauvreté, ce qui peut aussi causer des conflits sociaux.

Comme le dit Falk, « les moyens d’unir les êtres humains, d’assurer leur bonheur par l’association, les divisent aussi » (p. 23) [1]. Un Etat est uni par une ethnicité commune, mais l’ethnicité qui l’unit le sépare aussi de ses voisins. La religion qui unit un groupe le sépare aussi des adeptes d’autres religions. Une classe sociale partagée en commun nous sépare aussi des autres classes.

Le devoir d’un bon homme d’Etat est de protéger les intérêts de son peuple. Le devoir d’un croyant pieux est de protéger les intérêts de sa religion. Un père consciencieux recherche les intérêts de sa famille, qu’elle soit riche ou pauvre. Mais quand des conflits destructeurs entre nations, religions et classes sociales surgissent, l’harmonie peut le mieux être préservée ou restaurée par des hommes qui sont prêts à aller au-dessus et au-delà de leurs devoirs plus particuliers afin de servir les intérêts d’un ensemble plus grand.

On peut atteindre la paix sans considérer ses propres intérêts sous l’angle de la victoire ou de la disparition. Mais la paix par la destruction est plus coûteuse que rechercher la paix par la réconciliation, ce qui requiert un appel à des intérêts plus généraux.

Assez curieusement, Ernst et Falk acceptent tous deux l’idée moderne selon laquelle le but de l’Etat est de nous aider à atteindre nos fins individuelles. Ils nient l’idée classique selon laquelle il existe un bien commun auquel les individus doivent subordonner leurs buts privés dès que les deux entrent en conflit. Pourtant c’est seulement par le recours à l’idée d’un bien supérieur que l’on peut résoudre les conflits entre des biens plus particuliers.

Lessing reconnaît qu’à l’intérieur de chaque nation, religion et classe sociale, il y a toujours eu des individus qui ne sont pas simplement consciencieux mais aussi des partisans étroits de leurs groupes particuliers. A travers toute l’histoire, ces individus sont allés au-dessus et au-delà de leurs devoirs particuliers parce qu’ils avaient un sens de l’obligation envers un ensemble plus grand.

Ces individus, de plus, ne sont pas dispersés, solitaires et inefficaces. Ils sont réunis dans une communauté à eux, une communauté qui transcende les divisions nationales, religieuses et sociales. Cette communauté, dit le Falk de Lessing, est celle des francs-maçons : « les francs-maçons peuvent être ces mêmes hommes qui ont repris le travail de rétablir la solidarité humaine, en incluant celle-ci dans leurs propres affaires ».

Un souci de la solidarité humaine est au-dessus et au-delà des affaires particulières ou du devoir particulier d’un homme dans la mesure où il est un Français, un catholique, et un bourgeois, par exemple. Mais il n’est pas au-dessus et au-delà du devoir d’un franc-maçon. En effet, se soucier de la solidarité humaine est le devoir d’un franc-maçon.

C’est la solution à une énigme que Falk pose à Ernst à la fin du premier dialogue, à savoir : « Les vraies actions des francs-maçons visent à rendre superflues la plupart des actions communément appelées bonnes » (p. 19). Falk ajoute aussi que les vraies actions des francs-maçons sont bonnes, en fait superlativement bonnes. Les « bonnes actions » à rendre superflues sont équivalentes aux actions au-dessus et au-delà des devoirs particuliers. Ce sont des actions au service du bien commun. La franc-maçonnerie rend inutile d’aller au-dessus et au-delà des devoirs particuliers, en faisant du bien commun – la solidarité humaine – le vrai  devoir du franc-maçon.

Le but ultime de la franc-maçonnerie, laisse-t-il entendre, est un monde dans lequel les différences de nationalité, de religion et de classe existeront encore. Mais les conflits entre elles seront arbitrés et harmonisés, pour le bien supérieur, par une élite transnationale. Bref, le but de la franc-maçonnerie n’est pas un Etat homogène universel, pour emprunter le terme d’Alexandre Kojève pour désigner la « fin de l’histoire », mais un monde harmonieux dans lequel une réelle diversité s’épanouira, préservée par des frontières et des distinctions réelles.

Le conservatisme de Lessing est également évident dans son attitude de rejet envers les francs-maçons de son époque qui étaient d’ardents partisans de la Révolution Américaine. Les buts de Lessing étaient certainement radicaux et progressistes pour son époque. Il s’opposait à la monarchie absolue, à l’intolérance religieuse, et à toutes les formes de chauvinisme étroit. Mais il n’était pas un révolutionnaire, parce qu’il avait un sens des limites du pouvoir humain pour changer des institutions organiques anciennes. Dans le troisième dialogue, Falk dit carrément que l’humanité ne peut être une, et que le conflit ne pourra jamais être aboli mais seulement adouci :

« ‘Travaillez contre’ [les maux inévitables de la différence humaine] pourrait être un mot trop fort, s’il est compris au sens de ‘défaites-les’. Ces maux ne peuvent être défaits. Cela détruirait l’Etat. Ils ne devraient même pas être rendus apparents maintenant pour ceux qui ne les perçoivent pas encore comme des maux. Ils peuvent tout au plus être mitigés, en favorisant de loin cette perception dans le peuple, en lui permettant de germer et d’envoyer des ramifications, en éliminant les mauvaises herbes et en éclaircissant les nouvelles plantes. Comprenez-vous maintenant pourquoi j’ai dit que, que les francs-maçons aient toujours été à l’œuvre ou non, des siècles pourraient passer avant que l’on puisse dire ‘Voilà ce qu’ils ont fait pousser’ ? » (p. 28)

Dans le cinquième dialogue, Falk dit :

« Le franc-maçon attend calmement que le soleil se lève et laisse les lumières allumées entretemps, leur permettant de briller autant qu’elles le veulent et qu’elles en sont capables. Ce n’est pas sa manière de souffler les chandelles et lorsqu’elles sont éteintes de soudain comprendre que les bouts doivent être rallumés ou d’autres lumières apportées. » (p. 40)

L’aube, bien sûr, représente les Lumières. Les chandelles sont les institutions existantes. Le révolutionnaire souffle hâtivement les chandelles avant l’aube, nous laissant trébucher dans l’obscurité. Le vrai franc-maçon a la patience d’attendre que de nouvelles institutions émergent. Et lorsqu’elles émergent, il n’y a généralement pas de danger à laisser les vieilles chandelles allumées. Pour les touristes.

Lessing affirme que sa thèse est prouvée par le comportement des francs-maçons de son temps, qui cherchent à créer une communauté méritocratique qui transcende les divisions de nationalité, de religion et de classe sociale. Lessing affirme que la franc-maçonnerie est une conspiration ouverte concernant ses moyens et ses buts. Mais la franc-maçonnerie distrait l’attention des gens de son projet principal de deux manières. D’abord, pour distraire l’attention des gens de leur programme laïc ouvert, les francs-maçons promeuvent l’idée qu’ils sont principalement un ordre religieux initiatique et ésotérique. Ensuite, puisque la plupart des gens soupçonnent encore les francs-maçons d’avoir un programme laïc, les francs-maçons répondent en suggérant qu’ils sont tout à fait en faveur de l’aide et de la philanthropie mutuelles, et en buvant trop, et en portant des chapeaux amusants. Lessing souligne, cependant, que le but de la franc-maçonnerie est entièrement laïc, mais aussi élevé et d’un sérieux extrême.

« Les vraies actions des francs-maçons sont si grandes et d’une si grande portée que des siècles peuvent passer avant qu’on puisse dire : ‘Ce fut leur œuvre’. Pourtant ils ont fait tout ce qui est bon dans le monde, notez bien, dans le monde. Et ils continuent à œuvrer pour tout le bien qui doit être dans le monde, notez bien, dans le monde. » (p. 19)

Ce but mondain-historique élevé, selon moi, est la création d’un monde dans lequel la diversité s’épanouit dans l’harmonie, au lieu de se consumer dans les conflits.

La franc-maçonnerie est une société initiatique, dans laquelle une tradition est transmise de maître à étudiant. Depuis le début, cependant, Falk rejette l’initiation tout comme la tradition. Il ne croit pas qu’il est un franc-maçon simplement parce qu’il a été accepté comme un franc-maçon. Il croit plutôt qu’il est un franc-maçon parce qu’il comprend la nature et les buts de la franc-maçonnerie. Falk pense qu’il peut connaître la nature et le but de la franc-maçonnerie sans initiation, parce que la franc-maçonnerie est « une nécessité, fondée dans la nature de l’homme et de la société civile » (p. 16). Si la franc-maçonnerie n’était pas fondée dans la nature, elle serait une « superfluité », une simple convention qui ne pourrait être acquise que par d’autres hommes. Ainsi les mots, symboles et rituels de la franc-maçonnerie, qui sont simplement conventionnels, doivent être externes à la vraie nature de la franc-maçonnerie.

Cela implique qu’il ne peut y avoir de francs-maçons que de nom : des hommes qui ont été initiés dans la franc-maçonnerie mais qui ne comprennent pas sa vraie nature et son vrai but. Cela implique aussi qu’il peut y avoir de vrais francs-maçons qui ne sont jamais entrés dans une loge parce qu’ils ont appris leur franc-maçonnerie de la nature elle-même. Falk affirme que la franc-maçonnerie a la même relation avec la Loge que le christianisme avec l’Eglise, et il est clair que Falk est un protestant ou même un déiste, ce qui signifie qu’il a accès à la vérité religieuse sans la médiation de traditions et d’institutions religieuses.

Lessing affirme que la franc-maçonnerie est aussi vieille que la société humaine. Cela est faux s’il parle de la franc-maçonnerie historiquement existante. Cela signifie clairement que Lessing utilise le mot « franc-maçonnerie » comme un terme générique pour toute forme de communauté qui cherche à transcender les particularismes étroits de la nation, de la religion, et de la classe. Falk affirme que dans toute société, les citoyens dirigeants se réunissent autour d’une table avec de la nourriture et du vin pour élargir leurs perspectives, harmoniser les intérêts particuliers, et œuvrer pour le bien commun.

Lessing ne donne pas d’exemples historiques spécifiques. Mais comment le pourrait-il, si de tels groupes recherchent le secret ? Il déduit simplement l’existence de telles organisations de leur nécessité. Tout au moins, nous pouvons dire que toute société qui est équipée pour relever les défis de l’existence et s’épanouir doit avoir de telles organisations. On pourrait interpréter le Conseil Nocturne dans les Lois de Platon comme une sorte de franc-maçonnerie conservatrice idéale. Mais c’est simplement une autre théorie, pas un exemple historique.

Le théoricien politique allemand du XXe siècle, Carl Schmitt, s’opposait à la franc-maçonnerie, mais la franc-maçonnerie conservatrice idéale de Lessing chevauche sensiblement la théorie politique de Schmitt [7]. D’abord, Schmitt et Lessing reconnaissent tous deux que la différence humaine et donc le conflit ne pourront jamais être abolis. Ils peuvent seulement être améliorés. Ensuite, Schmitt et Lessing reconnaissent tous deux que le bien d’un ordre politique requiert quelqu’un au-dessus et au-delà de cet ordre. Pour Schmitt, c’est le Souverain, qui a reçu le pouvoir de décider quand les institutions existantes font face à une crise qu’elles ne sont pas conçues pour traiter. Pour Lessing, les francs-maçons se tiennent au-dessus et au-delà des institutions existantes, résolvant les conflits qu’ils ne peuvent traiter eux-mêmes. Ce n’est pas la pleine fonction du souverain, mais c’est une fonction importante.

La franc-maçonnerie conservatrice idéale de Lessing chevauche aussi avec une contribution turque à la philosophie politique, l’idée de « l’Etat profond [8] » (deren devlet). L’Etat profond turc consiste en un réseau secret centré sur les services militaires et de renseignement mais s’étendant dans le secteur judiciaire et dans celui des affaires, et chevauchant les deux avec le crime organisé et la communauté dönmeh crypto-juive. Le but de l’Etat profond est de préserver la constitution kémaliste laïque contre l’islamisme, le radicalisme de gauche, et le séparatisme kurde. Durant les crises politiques, l’Etat profond, agissant à travers l’Armée, a suspendu les institutions démocratiques pour préserver l’Etat kémaliste.

Chaque société a finalement – ou acquerra, dans des conditions de crise – un Etat profond, un groupe se tenant au-dessus et au-delà des institutions officielles, qui sont la dernière ligne de défense du système. C’est une sorte de franc-maçonnerie, bien que pour Lessing, le vrai franc-maçon n’est pas seulement un partisan de son propre Etat mais sert des intérêts plus larges. Pour Lessing, la forme la plus élevée de franc-maçonnerie fonctionnerait comme « l’Etat profond » du monde entier. Un gouvernement mondial est peut-être impossible, mais ses traits désirables peuvent être incarnés par la franc-maçonnerie.

La franc-maçonnerie conservatrice idéale de Lessing a probablement peu à voir avec la franc-maçonnerie historique. Mais Lessing ne tentait pas de décrire la franc-maçonnerie existante, il tentait de la remodeler. Donc laissons de coté la franc-maçonnerie historique et examinons simplement l’idée de Lessing.

Je crois que les Blancs ont besoin de quelque chose comme la franc-maçonnerie conservatrice idéale de Lessing, pas seulement pour la résolution des conflits, mais aussi pour servir de gardienne des lois et d’intelligence directrice de notre race. Pour survivre, les Blancs ont désespérément besoin d’une vision et d’un planning à long terme. Nous devons rejeter la suspicion populiste envers les élites transnationales. Nous ne survivrons pas en pensant petit et en étant stupides. Nous survivrons seulement en pensant plus grand et plus intelligemment que nos ennemis. La meilleure manière de vaincre une élite est d’être une élite meilleure. Nous vaincrons l’élite transnationale de l’ennemi seulement avec notre élite à nous.

La vision de Lessing d’un monde dans lequel des nations, des religions et des classes diverses fleurissent à l’intérieur de frontières réelles, harmonisées par le travail d’une élite transnationale à l’esprit large, qui fait de la prospérité de l’ensemble de ses affaires, c’est justement la vision de la Nouvelle Droite.

Si l’homme européen veut survivre avec nos différences intactes, nous avons besoin d’une sorte de franc-maçonnerie. En fait, la Nouvelle Droite fonctionne déjà de cette manière. Et si le monde veut survivre avec ses différences intactes – si l’Europe veut vivre en paix avec les autres blocs civilisationnels mondiaux – ceux qui ont l’esprit le plus large parmi nous doivent rencontrer ceux qui ont l’esprit le plus large parmi eux.

Donc quand commençons-nous ? Si Lessing a raison, dès que des gens à l’esprit large se rassemblent pour discuter du bien-être du monde, la franc-maçonnerie est à l’œuvre. Donc ne demandez pas « Quand commençons-nous », parce que nous avons déjà commencé.

 

Notes

  1. Toutes les citations viennent de Gotthold Ephraim Lessing, « Ernst and Falk: Dialogues for Freemasons », une traduction avec notes par Chaninah Maschler, Interpretation: A Journal of Political Philosophy 14 (1986): 1–50.
  2. L’affirmation de Lessing selon laquelle la franc-maçonnerie est en fait une conspiration ouverte est similaire aux idées tardives de Johann-Gottfried Herder, qui soutenait que la véritable incarnation d’une élite transnationale était la « République des Lettres » des Lumières, plutôt qu’une société secrète. Je parle des limites du modèle de la société secrète et des bénéfices d’un modèle de réseau non-hiérarchique dans mon article « La métapolitique et la guerre occulte [9]».